Passer de l’attention à l’intention : Les transformations silencieuses accompagnées par le facilitateur
Un facilitateur en intelligence collective joue un rôle crucial dans la transformation de l'attention d'un groupe, souvent fragmentée par diverses distractions, vers une intention claire et un focus sur l'apprentissage.
De l’attention à l’intention : préparation du facilitateur
La philosophie Zen et le Taoïsme proposent des approches uniques pour transformer notre état mental de l'attention, souvent dispersée et réactive, vers un état d'intention, caractérisé par une présence et un engagement conscient.
Cette transition peut être particulièrement pertinente dans le contexte de l'apprentissage et de la facilitation de l'intelligence collective. Le facilitateur travaille d’abord sur lui avant de toucher les participants eux-mêmes, et de se laisser toucher par eux. L’approche Zen est une aide précieuse dans ce sens.
Le Zen met l'accent sur la pratique de la pleine conscience, c'est-à-dire être pleinement présent dans l'instant. Cette pleine conscience fait se rejoindre deux formes de consciences : conscience de ce qui se passe autour de soi (awareness) et conscience réflexive qui ramène à soi (consciencousness). En appliquant ce principe, un facilitateur encourage les participants à se concentrer pleinement sur l'expérience d'apprentissage, en laissant de côté les distractions externes et internes.
Dans la même veine, le Taoïsme valorise la simplicité et l'élimination du superflu, ce qui peut être interprété comme une invitation à simplifier les processus d'apprentissage. En réduisant la complexité et en se concentrant sur l'essentiel, les participants peuvent mieux diriger leur attention vers leurs intentions d'apprentissage. Le concept de Wu Wei dans le Taoïsme, souvent traduit par "non-agir" ou "agir sans effort", souligne l'importance de se mouvoir avec le flux naturel des événements plutôt que de forcer les choses.
Dans un cadre d'apprentissage, cela peut se traduire par une adaptation flexible aux besoins du groupe, une induction douce permettant une exploration plus fluide et intentionnelle des sujets. Pour prendre une métaphore, l’inflexion tient de la stratégie lente du jeu de go qui posément prépare les conditions d’une évidence qui se découvre peu à peu, plutôt que d’une tentative d’action directe dont le risque est de provoquer une résistance frontale.
Tant le Zen que le Tao encouragent une exploration intérieure pour trouver des réponses ou des orientations. En facilitant des moments de réflexion personnelle ou de méditation, un facilitateur aide les participants à connecter avec leurs intentions profondes et à guider leur apprentissage de manière plus authentique et significative.
Une dernière préparation pour le facilitateur consiste à équilibrer sa vie et sa pratique. Tout est d’équilibre; inutile de prêcher quelque chose mais de pratiquer l’inverse. La cohérence de son attitude est pour le facilitateur la meilleure preuve du message de la force de son être et de la qualité de son écoute.
Le Taoïsme parle de l'importance de maintenir l'équilibre et l'harmonie dans tous les aspects de la vie. Cela peut être appliqué à l'équilibre entre le travail en groupe et les moments d'indépendance dans l'apprentissage, assurant que les efforts collectifs sont soutenus par une introspection et un engagement personnels.
Enfin, le Zen reconnaît l'interconnexion de toutes choses et la non-dualité entre l'observateur et l'observé. Dans le contexte de l'intelligence collective, cela encourage une approche où l'apprentissage est vu comme un processus partagé, où chaque participant est à la fois enseignant et apprenant, contribuant à une compréhension plus profonde et à une intention collective renforcée. François Jullien (2009) évoque les transformations silencieuses.
Il n’y a pour lui nul événement plus marquant qu'un autre, tout au plus des affleurements qui laissent devenir la forme générale en germe dans la longue durée. C’est le cheminement qui importe.
De l’attention à l’intention : pratique de groupe
Une fois le facilitateur prêt, il est en mesure de proposer au groupe une ambiance favorable. Il aide à établir un environnement propice à l'apprentissage en mettant en place un cadre structuré qui réduit les distractions. En définissant clairement les objectifs, les règles d'engagement et le programme, le facilitateur assure que les participants comprennent l'importance de se concentrer sur la tâche à accomplir. Il ne force pas plus la motivation qu’il ne tire sur les feuilles d’une salade pour la faire pousser. Il se contente en jardinier de préparer les conditions favorables à l’auto-saisissement de soi, ou à l’autopoïèse du groupe (la construction de la dynamique et de la vie du groupe par lui même). Il a en tête que c’est l’action qui crée la motivation et non l’inverse.
En utilisant des techniques d'engagement interactives, le facilitateur peut capter l'attention des participants dès le début. Que ce soit par des réchauffes-coeur (icebreakers), des activités de remue-méninges (brainstorming) ou des discussions en petits groupes, ces méthodes aident à orienter l'attention des participants vers le sujet d'apprentissage tout en minimisant les distractions externes. Par l’action, ces méthodes créent l’échauffement comme deux morceaux de bois qui se frottent et finissent par créer une étincelle.
Le facilitateur travaille avec le groupe pour établir une intention commune (Mc Gregor, 2000) , ce qui aide aux apprenants à s’aligner sur une vision ou un objectif partagé. En comprenant et en acceptant une vision partagée (Senge, 1990), les participants sont plus susceptibles de mettre de côté leurs distractions personnelles au profit de l'atteinte de l'objectif du groupe. C’est le mécanisme du flow collectif qui s’enclenche.
La gestion efficace du temps, y compris l'intégration de pauses stratégiques (Davies 2003), est essentielle pour maintenir l'attention et le focus. Le facilitateur veille à ce que le rythme de l'atelier ou de la session d'apprentissage soit adapté pour maintenir l'engagement tout en permettant aux participants de se reposer et de se ressourcer, réduisant ainsi le risque de distraction due à la fatigue. Bien que la technologie puisse être une source de distraction, un facilitateur avisé sait comment l'utiliser à bon escient pour renforcer l'apprentissage (Bower, 2017).
Que ce soit à travers des applications collaboratives, des sondages en temps réel ou des plateformes de gestion de projet, le facilitateur peut utiliser la technologie pour concentrer l'attention sur des activités d'apprentissage spécifiques et garder le fil du dialogue y compris quand le groupe travaille à distance.
En promouvant une culture de responsabilité (Schwarz, 2002), le facilitateur encourage chaque participant à prendre en charge son propre apprentissage et à contribuer au succès du groupe. Il suscite un co-leadership ou un leadership tournant ou une facilitation. Cela peut inclure des accords mutuels sur la minimisation des distractions personnelles et la concentration sur les tâches d'apprentissage.
En intégrant des sessions de rétroaction (feedback) et de réflexion (Schon, 1983), le facilitateur aide les participants à prendre conscience de leur processus d'apprentissage et des distractions potentielles. Cela permet non seulement d'ajuster les méthodes d'apprentissage en fonction des besoins du groupe mais aussi de renforcer le focus et l'intention collective vers l'apprentissage.
Source : https://cursus.edu/fr/30433/passer-de-lattention-a-lintention
Ecrit par Denis CRISTOL, publié le 19/03/2024